[Galerie Le Lutrin (Lyon). Exposition Cristina Tavarès]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon
technique 1 photographie numérique : couleur
description Adresse de prise de vue : Galerie d'art Le Lutrin, 4, place Gailleton, Lyon 2e (en 2013).
historique Un Chemin de croix. Le sujet surprend. On n'en peint pas tous les jours, surtout dans l'esprit et la manière de Cristina Tavarès. Ici, pas de parodie, de détournement, pas de distanciation, pas de blasphème douteux, de provocation facile, pas de religiosité non plus. C'est un vrai Chemin de croix. Un chemin de souffrance et d'humiliation. La suite attendue des stations y défile dans cette figuration coutumière de l'artiste, qui déforme les corps pour les rendre plus expressifs, qui les saisit dans des attitudes incongrues, à la limite, jamais atteinte, du grotesque. Quelque chose entre le narratif et le symbolique. Son trait s'est durci pour l'occasion, stylisant des formes toujours généreuses. Moins de tendresse dans les contours, moins de rondeurs. De la tension. Même radicalité dans les couleurs, très resteintes, très éteintes: du bleu ardoise, du rouge rouille, du noir. Du blanc. Véritable lumière du tableau, posée par touches en rehauts. Une lumière métaphysique qui semble jaillir des corps et des visages. Et ce jeu sévère avec le gris-brun de la toile de lin, travaillée en large réserve. Parfois, c'est presque la moitié de la surface du tableau, comme dans La mise au tombeau, qui est laissée nue. Impressionnant. C'est âpre, austère, grave, retenu. Une époustouflante économie de moyens y est là au service d'une belle force d'expression. Pas de fioriture, pas de séduction. Du poignant sans pathos. Le Christ de cette Passion est une femme. Comme tous les protagonistes, d'ailleurs. Une féminisation qui ne fait pas écran. Ne revendique rien. Tout juste a-t-on envie d'y voir l'artiste elle-même se projetant dans cette épreuve, dans cette image, comme elle l'a fait dans ses précédentes oeuvres. Une appropriation en toute simplicité, en toute humilité. Il faut dire que l'humanité de Tavarès est humble par essence, par extraction. On connaît ses personnages attachants. Qu'il s'agisse de la petite fille rêveuse ou de la vieille femme usée, déformée par les travaux, corps prénubile pour l'un, désexué par l'âge pour l'autre. La délicatesse émouvante que recèlent ces formes grossières, on s'en étonne toujours. Dans ces tableaux du Chemin de croix, apparaît comme épurée, transcendée, une figuration à l'expressionnisme brut. Une écriture griffée emprisonne les formes puissantes, les corps rustiques mal équarris. Mains et pieds énormes, visages fendus d'yeux et de bouches comme des masques, allures de solides paysannes, de femmes du peuple. Cette pâte populaire est, par contraste, très savamment mise en page. Situant ses personnages dans un espace abstrait, sans repère autre que celui des plans du tableau qu'elle architecture avec une belle maîtrise, Cristina Tavarès use dans certaines toiles de plusieurs points de vue pour relater la même scène, alterne dans d'autres avec des compositions par registres. Plongées, contreplongées... Outre ce saisissant ensemble de douze tableaux, en regard desquels sont exposés leurs dessins préparatoires, accrochés dans la première salle du Lutrin, quelques études et dessins représentant des Vanités, ainsi qu'une série fort colorée de Contes. Cela permet une bonne vision d'ensemble de l'oeuvre de l'artiste. Dans les premières, des petits dessins à la plume et au lavis, on retrouve un univers très inspiré de l'enfance. S'y mêlent d'amusantes références à l'histoire de l'art et au genre de la vanité. C'est à la fois charmant et inquiétant, drôle et grave. Et toujours cette manière de cadrer très, très serré, jusqu'à gêner les personnages aux entournures, ce qui les fait paraître un peu encombrés de leur corps. Un rapport au cadre totalement différent de celui qui préside au Chemin de Croix. Quant aux Contes, il révèle un pan inédit de la production de l'artiste: celle de l'illustration et du coloriage. Inédit, dans sa forme et son exécution, du moins, car, en fait, dans les dessins et tableaux que nous lui connaissons, Cristina Tavarès ne fait-elle pas que raconter ou inventer des histoires ? Dans un espace totalement saturé de personnages dessinés avec beaucoup de verve et d'humanité, et colorés de vif, Les contes sont le lieu d'une foule d'histoires qui s'entrecroisent, se télescopent d'une burlesque façon. Et se poursuivent même au-delà des quatre côtés de la page présentée! Au coeur de ces aventures, nourries par leur auteur de ses souvenirs, son quotidien et son imagination (le cocktail de base normal), une petite fille récurrente, qui joue des rôles et revêt des déguisements divers, la tutélaire figure d'une grand-mère, aux apparitions tout aussi fréquentes, et celle de tous les dangers: le loup... C'est tout un monde, tout un bestiaire, tout un sympathique fatras d'objets et de situations qu'on explore sans jamais en venir vraiment à bout. De l'imagerie piquante de ces coloriages, pleins de drôlerie, de tendresse et d'humour, aux puissantes et tragiques images du Chemin de Croix, Cristina Tavarès s'impose décidément comme un beau peintre narratif, comme une belle imagière. "La belle imagière" / Nelly Gabriel in Lyon Figaro, 30 novembre 2000, p.30.

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